Témoignages : « Ma victoire contre l'anorexie »
- Fanny Plateau
- 31 juil. 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 sept. 2018
Pour sortir de cette maladie, ces trois jeunes femmes ont mené bataille. Elles nous confient leur cheminement, leurs rencontres et leur bonheur d’avoir triomphé.

Destructrice, l'anorexie touche particulièrement les jeunes. Près de 70 % des malades ont moins de 25 ans, et neuf sur dix sont des filles. Ce trouble du comportement alimentaire peut avoir de graves répercussions sur la santé. D'autant que, pendant des mois et parfois des années, les adolescentes concernées sont dans le déni. Quand, enfin, elles prennent conscience du danger, il est difficile, voire impossible pour elles, de s'en sortir seules. Une aide extérieure est nécessaire, qu'elle vienne du corps médical, paramédical ou d'un proche. Trois jeunes femmes nous racontent leur expérience.
Andréa, 22 ans, Evreux
" L'enfer, c'était d'être entourée d'anorexiques toutes aussi maigres les unes que les autres."
La balance indiquait « 35 kg ». Ce matin-là, chez le médecin, j'ai senti que mon cas était grave, j'ai pris conscience de ma maladie. Mince de nature, je ne me suis jamais préoccupée de mon poids. Mais la rentrée en classe de seconde a été décisive sur ma santé. Crise d'ado, premier chagrin d'amour, phobie scolaire… Alors la nourriture est devenue ma pire ennemie – la seule odeur des aliments me donnait la nausée. J'ai complètement arrêté de manger. J'avais 15 ans, je mesurais 1,57 m et j'avais un corps chétif, si faible… Le médecin n'a pas hésité. Jugeant mon état urgent, il m'a hospitalisée. Je n'ai pas eu le droit de sortir du CHU du Kremlin-Bicêtre avant que mon poids atteigne 45 kg. Nourrie par sonde gastrique, suivie par un psychiatre et confinée dans une chambre. Loin de tout. Mais j'avais fini par l'accepter. L'enfer, c'était d'être entourée d'anorexiques toutes aussi maigres les unes que les autres. Je me suis dit : « Si elles sont là et moi aussi, c'est que je leur ressemble. » Deux ans plus tard, après une énième hospitalisation, je me suis rendu compte que ma place n'était plus là-bas. J'ai pris de grandes résolutions : finies la sonde, l'épreuve de la balance. S'est ensuivi un processus de guérison de trois ans. J'ai d'abord repris le chemin de l'école. Un internat. Là, quelqu'un veillait sur mes repas, je n'avais plus d'excuse. Moi qui avais très peur de la solitude, j'ai trouvé du réconfort, des amies présentes au quotidien. Bien sûr, je continuais à me rendre chez le psy, qui m'a permis de mettre des mots sur mes maux. Aujourd'hui, je me sens complètement guérie. J'ai repris une vie normale, loin du lit d'hôpital, des tuyaux et des médecins. Ils m'ont sauvé la vie, mais la bataille a été longue et difficile.
Mathilde, 19 ans, Lyon
Je m'évanouissais trois fois par jour, me sentais constamment épuisée… Puis j'ai eu peur pour mon avenir.
J'ai sombré dans l'anorexie l'année de mes 13 ans. J'étais inscrite au cours de danse classique et ma mère me persuadait que je devais être mince pour réussir. Je n'étais pas grosse, mais j'ai fini par le croire. Pendant des années, je me suis affamée, j'ai sauté des repas, des réunions de famille. Mon corps fondait à vue d'œil. Il y a un an, une énième dépression m'a rongée. Je ne pesais plus que 38 kg pour 1,60 m. Je m'évanouissais trois fois par jour, me sentais constamment épuisée… Puis j'ai eu peur pour mon avenir : je n'aurais pas d'enfants, je ne pourrais plus aller au cinéma, courir ou simplement marcher. J'ai compris que je devais guérir. Après cinq ans de déni, je me suis confiée à ma famille. C'est ma belle-mère qui a été le plus à l'écoute. Grâce à elle, j'ai pris rendez-vous chez une hypnothérapeute – le simple mot « psychiatre » m'effrayait. Lors du premier rendez-vous, elle m'a appris à me détendre, à personnifier mon anorexie et la mettre hors de moi. Elle m'a fait comprendre que je valais plus que « ça », m'a enseigné la concentration. Je devais me focaliser sur mes pieds, mes jambes. Elle me disait : « Il ne faut plus t'enfoncer, maintenant tu dois être présente. » Aujourd'hui, et après deux autres rendez-vous, je pèse 47 kg. J'ai trouvé le courage de consulter un psychiatre. J'espère atteindre 51 kg. Je sens que je peux réussir, même si les séquelles sont sérieuses : nausées, fatigue, dents abîmées… Pendant toutes ces années, j'étais convaincue de bien faire. Mais j'ai compris que je n'aurais pas davantage confiance en moi en perdant du poids. J'ai repris les cours de danse classique, pour le plaisir. J'ai décroché une formation chez un tatoueur, c'était mon rêve. J'avance enfin.
Paola, 27 ans, Paris
Je n'avais pas de mode d'emploi. Je savais qu'il fallait sortir de cet engrenage.
J'avais 14 ans quand mon corps s'est violemment fermé à la nourriture. J'oubliais de prendre des repas comme on oublie ses clés. La balance affichait 41 kg mais, de mon 1,60 m, cela ne m'effrayait pas. Je n'avais plus mes règles et cela ne m'importait pas. Je n'en ai jamais parlé à personne. Mes parents, eux, ne remarquaient rien, je leur faisais croire que je mangeais. Au début, je pense que mon anorexie n'était pas volontaire. Puis mon estomac s'y est habitué et moi aussi. Mon reflet ne me déplaisait pas. Je me disais : « C'est aussi simple que ça d'être mince ! » Un jour, au lycée, en cours de sport, un garçon m'a lancé : « Espèce d'anorexique ! » Ce fut un déclic. Puis j'ai rencontré Mathieu. Je me sentais aimée. Il me cajolait, s'intéressait à moi… Un soir de déprime, je lui ai avoué : « Je suis anorexique. » Le lendemain, il a acheté des croissants et me les a servis au lit. Je n'avais pas faim, mais je me suis forcée. Il m'obligeait à me nourrir. Trois repas par jour. Au début, mon estomac était si petit que je n'avalais que quelques bouchées. Je n'avais pas de mode d'emploi. Je savais qu'il fallait sortir de cet engrenage. J'ai repris 5 kg assez vite, puis mon poids a stagné durant un an jusqu'à se stabiliser. Mathieu m'a beaucoup soutenue et je lui dois ma guérison. Dix ans après, je n'ai aucune séquelle et je n'ai pas rechuté. J'ai une vie saine et je n'oublie plus les repas.
3 questions à Nathalie Godart, pédopsychiatre à l'institut mutualiste Montsouris et vice-présidente de l'association FFAB (Fédération française anorexie boulimie).
Comment prenez-vous en charge l'anorexie aujourd'hui ?
Nous proposons quatre types de soins : le traitement des troubles somatiques (infertilité, vomissements…), la renutrition, le suivi psychologique et la mise en place d'une aide sociale, si besoin. Nous nous adaptons à chaque patient. Si une personne est très fatiguée, on commencera par l'approche nutritionnelle. Et si elle se porte assez bien, on débutera par la psychologie. Le plus important est de communiquer afin de mettre en place un traitement concluant. Pour les adolescents, les thérapies familiales favorisent la guérison. L'hospitalisation n'est envisagée que si les consultations n'aboutissent à rien ou dans les cas graves.
Peut-on en guérir totalement ?
Cette affection dure en général plusieurs années. Elle survient comme une réponse à un état de stress, une dépression, une histoire de vie difficile. Il y a de gros risques de rechute si ces maux viennent à se répéter plus tard. Si l'on veut en guérir définitivement, il est essentiel de consulter le plus tôt possible.
Comment faire, si la personne ne se voit pas malade ?
Si l'on s'inquiète pour un proche, il faut lui en faire part, sans le lui reprocher. Pour ceux qui ont du mal à aller consulter, la ligne Anorexie boulimie info écoute* permet d'échanger avec des psys, des associations ou des médecins.
* 0 810 037 037, rens. sur anorexieboulimie-afdas.fr.
Article publié dans Version Femina n°830
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