Entretien avec Zakari Benkhadra, directeur d'Institut Culinaire de France
- Fanny Plateau
- 12 juin 2020
- 5 min de lecture
Adolescent, Zakari Benkhadra expérimentait des recettes en famille, aujourd’hui, il est à la tête d’Institut Culinaire de France. Ambitieux et exigeant, plutôt bavard mais toujours intéressant, il a côtoyé les plus grands chefs et s’est initié à leurs côtés. Aujourd’hui, en acceptant la direction de l’école, Zakari Benkhadra réalise son rêve. Son projet pour Institut Culinaire de France, ses envies et sa conception d’une pédagogie 2.0… Entretien.
D’où vient votre attachement pour les arts culinaires ?
Je suis tombé dedans à 14 ans. Je préparais des tartes aux fraises, des gâteaux à base de fruits du jardin. Nous avions la chance d’en avoir de très bons ! Au fil du temps et des impératifs, j’ai fini par mettre la pâtisserie de côté au profit de mes études. Finalement, j’ai retrouvé cet amour pour les arts culinaires en prenant mes fonctions dans l’hôtellerie et la restauration. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas !
Justement, vous avez un parcours professionnel atypique…
En effet ! Toute ma carrière s’est faite au gré des rencontres. J’ai commencé dans la publicité et puis de fil en aiguille, j’ai rejoint la Compagnie Générale d’Immobilier et de Services pour diriger le pôle restauration du CNIT et développer la partie traiteur. En 2000, j’ai rejoint Unibail pour contribuer à la création et au développement de Paris Expo. Au bout de 4 ans, j’ai rendu mon tablier avec l’envie de créer, construire et progresser. Je déteste la routine ! J’ai fondé CBEX – Convention, Business and Exhibition, qui m’a permis de travailler avec des clients prestigieux comme EADS, L’Oréal ou Sofitel. Trois années de challenge intenses ! Après toutes ces aventures, Alain Ducasse m’a appelé et m’a demandé de reprendre une école alors en faillite : l’Ecole Nationale Supérieure de Pâtisserie.
C’est là que vous avez basculé dans l’enseignement ?
Oui, tout à fait. Je connaissais Alain Ducasse depuis 1996, année à laquelle il est devenu dans la suite de Joël Robuchon, conseiller culinaire de la CGIS. Nous avons toujours gardé de très bons contacts. J’ai donc étudié le dossier de l’ENSP, mis en place une stratégie, un business plan, des budgets, j’ai réfléchi au développement… Il a été séduit par mon approche marketing et commerciale et on a fait un long chemin ensemble. Alain Ducasse est un homme d’audace, il avait de grandes ambitions pour cette école. On a tout revu ! A cette époque, si on m’avait dit un jour que je prendrais la direction de cette école, je ne l’aurais jamais cru.
Nous avons la volonté de devenir un acteur majeur national et international dans le milieu de l’enseignement des arts culinaires
Cette expérience vous a permis de croiser la route de nombreux chefs, que vous ont-ils apporté ?
Ils m’ont apporté les connaissances techniques, managériales et humaines. Dans ce travail, on apprend à connaître les hommes dans leur for intérieur, leurs convictions, ce qui les pétrit et qui fait qu’ils sont chefs. Il y a aussi le management : la façon dont ils gèrent leurs brigades, par exemple. Enfin, il y a l’aspect du développement, l’un des plus intéressants de mon point de vue, la manière dont ils vendent ce qu’ils produisent. C’est la richesse technique : l’exigence, le souci du détail, la rigueur, l’organisation, la méthodologie, mais aussi et surtout, la non-compromission par rapport à la qualité, comprendre pourquoi on utilise un produit et pas un autre. Tout ça, dans un univers assez rude mais en même temps, très humain.
Vous avez fondé le Salon de la Pâtisserie, dirigé de grandes écoles culinaires… Après toutes ces aventures, pourquoi avez-vous accepté la direction d’Institut Culinaire de France ?
C’est le résultat de deux idées qui se rencontrent. D’un côté, le constat que la formation n’évolue pas en France et qu’il manque un acteur majeur. De l’autre, la volonté du groupe Galileo Global Education de développer des écoles d’arts culinaires et de devenir un acteur majeur au niveau national et mondial. Comme on dit : la casserole est tombée et en tombant, elle a trouvé son couvercle ! Nous avions les mêmes ambitions et par notre collaboration, nous réalisons chacun notre rêve.
Pensez-vous qu’il y ait un réel engouement pour les arts culinaires ?
Oui, grâce à toutes les émissions télévisées notamment… On sait par ailleurs qu'aujourd'hui, plus de 20 000 postes ne sont pas pourvus en cuisine, pâtisserie, chocolaterie et boulangerie en France ! En Chine, peut-être plus d’un million ! Aux États-Unis, on parle de 450 000 ! Il y a de l’avenir et c’est à nous d’offrir un enseignement moderne, adapté et valorisant.
Aujourd’hui, la pédagogie doit répondre aux envies des consommateurs : manger bien et sain, faire plaisir au corps et plus seulement aux yeux
En quoi Institut Culinaire de France se démarque des autres écoles ? Quelles sont ses qualités ?
Ses qualités, c’est d’abord sa qualité. Sa qualité humaine, c’est-à-dire, l’accueil, la mise à disposition de certain de moyens qui vont faciliter la vie scolaire de l’étudiant mais aussi du professionnel… Sa qualité, c’est aussi son organisation, sa structure. Sa qualité, c’est évidemment la qualité des chefs mais aussi de l'encadrement, de la pédagogie, des équipements, des ustensiles et des ingrédients. Ici, rien n’est laissé au hasard. On enseigne la technique de manière intensive afin qu’elle soit maîtrisée, mais nous ne nous focalisons pas uniquement dessus.
C’est-à-dire ?
Nous avons mis en place un enseignement contemporain, à l’image du métier aujourd’hui. Dans les écoles d’Institut Culinaire de France, on enseigne aux élèves l’utilisation des réseaux sociaux, comment les exploiter, y figurer. On leur apprend le design culinaire, les équilibres nutritionnels dans chaque recette. On aborde aussi la santé et le bien-être. De nos jours, on a envie de se faire plaisir, mais on a aussi envie de se faire du bien. Dans la pâtisserie d’aujourd’hui, si on veut faire une religieuse, on va la dupliquer à l’identique. Personne ne va se demander s’il n’y a pas trop de matière grasse, s’il y a assez de fibres, si l’on peut rajouter des ingrédients pour qu’elle soit plus équilibrée, de façon à ce que lorsqu’on la mange, on ait à la fois une sensation de plaisir, mais aussi de bien-être. Aujourd’hui, la pédagogie doit répondre aux envies des consommateurs : manger bien et sain, faire plaisir au corps et plus seulement aux yeux. C’est une nouvelle dimension importante, que l’on apporte dans notre enseignement.
Un chef doit pouvoir échanger avec un banquier, discuter avec une agence de communication, mettre en ligne ses photos, être bon vendeur, bon manager
Finalement, comment doit-être le pâtissier de demain ?
Il doit être 2.0. Un chef doit pouvoir échanger avec un banquier, discuter avec une agence de communication, mettre en ligne ses photos pour mieux informer sa clientèle et la développer, être un bon vendeur et un bon manager. Il doit savoir recruter, former, coacher.
Chez Institut Culinaire de France, on apporte justement cette vision contemporaine. L’idée est de donner envie aux gens qui viennent embrasser ce métier. Rêver d’ouvrir un concept novateur duplicable, un commerce, lancer sa propre marque ! Des rêves qui vont permettre de s’adonner à un métier passionnant, de s’épanouir intellectuellement et techniquement, mais aussi de s’enrichir financièrement et continuer à développer le métier et finalement, faire en sorte que ça ne soit pas un métier en repli, mais plutôt un métier novateur et promoteur de valeurs.
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