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Enquête : Instagram, un allié possible contre l'anorexie

  • Photo du rédacteur: Fanny Plateau
    Fanny Plateau
  • 1 sept. 2018
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 3 sept. 2018

Anorexiques et incomprises, elles ont trouvé refuge sur Instagram. Cachées derrière un pseudonyme, elles partagent leurs souffrances, leurs repas et leur combat contre la maladie. Enquête sur cette communauté "pro-guérison" qui compte bien gagner la bataille contre l'anorexie.



« Anorexie : rémission. Hospitalisation : 1. Poids le plus haut : 48. Poids le plus bas : 35. Plus jamais. » Sur sa biographie Instagram, Eloïse dévoile ses mensurations plutôt que son prénom ou son âge. « C’est un compte anonyme », explique l’adolescente de 15 ans, qui est pourtant suivie par plus de 4500 personnes. Elle y poste des centaines de photos de légumes, féculents et autres viennoiseries, mis en scène sur des assiettes maillées, décorées et colorées. Les rares fois où Eloïse apparaît sur des clichés, ses longs cheveux blonds dissimulent son joli visage, ses joues amaigries, son si grand sourire. L’adolescente est radieuse, a un rire contagieux et est plutôt bavarde. Elle assure : « Je suis de plus en plus heureuse. » Depuis trois ans, Eloïse souffre d’anorexie mentale. A treize ans, l’adolescente ne pèse pas plus de 35 kilos, son corps est à 35 degrés, et ses lèvres sont bleuâtres. A l’hôpital, Eloïse est sondée, obligée de prendre du poids et est entourée de jeunes filles malades. L’adolescente vit deux mois de « torture », où, au lieu de guérir, elle s’enfonce dans la solitude et sombre. A la maison, loin d’être soignée, de plus en plus maigre, elle comprend qu’elle doit se battre. Parce que les médecins lui ont laissé un souvenir amer, elle se réfugie vers les réseaux sociaux : « Comme toutes les filles de mon collège, j’ai créé un profil Instagram, sauf que je m’en suis servi pour parler de mon anorexie, témoigne la jeune fille. A cette époque, j’étais ma maladie, mon poids. »

Sur son compte, qu’elle a nommé « anofight », Eloïse partage son quotidien, ses trois repas par jour, sa vie familiale, ses émotions, ses angoisses, ses motivations, son évolution. « Je ne sais pas si on peut parler de journal intime lorsque l’on est suivie par plus de 4000 personnes, mais je me confie énormément et je n’ai aucun secret pour les gens qui me lisent. » Sur Instagram, Eloïse a découvert une forme de soutien qu’elle n’avait jamais trouvé ailleurs : « Mes parents me comprennent, mais pas à 100%. Je suis seule dans ma famille à être comme je suis. J’ai créé ce profil pour parler à des gens comme moi, des gens qui comprennent ma souffrance et ne me jugent pas. »


« Ca ne se fera pas en un jour, mais un jour, ça se fera »


Comme Eloïse, 1,5%* de la population féminine âgée de 15 à 35 ans est touchée par l’anorexie mentale en France. Souvent dans le déni et incomprises, les adolescentes évitent les médecins et s’isolent. Pourtant, s’il y a bien une chose dont ont besoin les malades plus que d’une aide médicale, c’est de réconfort, d’une oreille qui les écoute. « Les personnes qui souffrent d’anorexie ont tendance à se murer dans le silence. Cette maladie est tabou, la famille ne comprend pas, la banalise... regrette Pascale Zrihen*, psychothérapeute spécialiste des TCA. Les parents pensent que leur enfant a juste un peu maigri. » Malades ou pas, les adolescents trouvent dans les réseaux sociaux une liberté, un moyen d’expression. Encore plus lorsqu’ils n’ont personne à qui se confier. C’est de là qu’est née la « ED Community », une communauté réunissant des personnes des quatre coins du monde, atteintes de troubles alimentaires et souhaitant s’en sortir. Présente sur Instagram, on la repère grâce au hashtag éponyme, mais aussi grâce à d’autres : #AnorexiaRecovery, #Anafight, #Anafamily, par exemple. Un mouvement « pro-guérison » en réponse à son opposant : la « pro-ana ».


Les réseaux sociaux représentent un complément de sociabilité, des lieux où ils construisent des réseaux de solidarité pour accéder à des formes de soutien qui ne seraient pas disponibles autrement.

Depuis le début des années 2000, celle-ci est connue pour inciter à la maigreur à coups de photos retouchées et de conseils dangereux. Une communauté censurée par le réseau social. Bien sûr, certains comptes existent encore, mais « ils sont loin d’être dominants », témoigne Paola Tubaro dans le rapport Les jeunes et le web des TCA : repenser la notion pro-ana. Elle et d’autres chercheurs du CNRS ont mené cette étude pendant cinq ans, en réponse à la volonté de Valérie Boyer, députée UMP des Bouches-du-Rhône à rendre passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende « le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ». Un texte finalement rejeté. Antonio Casilli, coordinateur de l’étude, prévient: « Cette loi revient à lutter contre les malades et non contre la pathologie. » Selon les spécialistes, les réseaux sociaux sont un lieu « nécessaire » aux malades, « ils représentent un complément de sociabilité, des lieux où ils construisent des réseaux de solidarité pour accéder à des formes de soutien qui ne seraient pas disponibles autrement et qui s’ajoutent à l’offre de soins proposée par les système de santé. » Celle-ci, souvent jugée insuffisante par les malades. « Malheureusement, il n’y a aujourd’hui que les instituts spécialisés qui sont réellement formés à soigner les malades » regrette Nathalie Godart, pédopsychiatre à l’Institut Mutualiste du Montsouris. Eloïse ajoute : « On peut attendre des mois avant d’avoir une place dans des cliniques faites pour nous, sinon, on se retrouve dans des unités de pédiatrie, où les infirmières nous prennent pour des menteuses et ne comprennent pas notre maladie.»

Parfois publics, mais souvent privés, on distingue un profil « pro-guérison » grâce au mot « recovery » (rémission en Français). Spaghettis, pizzas, viennoiseries… Sur les photos des comptes de la ED Community, pas de corps frêles ni d’astuces anti-calories. Que des clichés de repas appétissants synonymes de victoire. Sous des photos, Eloïse poste aussi des mantras, des phrases qui lui font du bien, qui la motivent et qui résonnent aussi pour ses abonnés. Sa dernière trouvaille : « Ca ne se fera pas en un jour, mais un jour, ça se fera », likée par plus de 300 personnes.


Guidées vers la guérison

Pour Pascale Zrihen, les profils « pro-guérison » peuvent être le début d’une thérapie : « Avant, elles s’identifiaient dans ce qu’elles pensaient être le corps parfait. Avec ces comptes de filles en rémission, elles sont guidées dans le bon sens. On les appelle les patients experts. »

Sur ces réseaux, les adolescentes cherchent des témoignages, des informations, un soutien émotionnel. Alors, les pionnières de la communauté aujourd’hui influence uses sont des héroïnes, des sources d’inspiration pour les nouvelles inscrites. Les plus populaires viennent des Etats-Unis, comme Ashleigh Ponder suivie par plus de 20 000 personnes, ou encore Hayley Harris (@bitingback sur Instagram) dont les aventures passionnent ses 18 000 abonnés. L’idole d’Eléonore s’appelle Marine Lioret, alias « Marineandrun », une Française de 22 ans. Sur son blog, « Marine explique comment la communauté l’a aidée à se dévoiler, à trouver des messages d’espoir », raconte l’adolescente de 16 ans. Jour après jour, elle s’abreuve du quotidien de Marine, de ses motivations et de sa réussite. Véritable modèle, elle donne envie à l’adolescente de guérir. Pourtant, elle hésite longtemps avant de s’inscrire : « J’avais peur que l’on me découvre, que ma famille lise mon histoire, que les gens de mon collège tombent sur mon compte.»


« L’anorexie est une maladie intime, rassure Pascale Zrihen. C’est plutôt sain pour une adolescente de vouloir garder une part d’elle secrète. »

Profil privé et pseudonyme, sur Instagram, Eléonore choisit les gens qui peuvent la lire. Comme Eloïse, elle cultive un jardin secret. Un monde dans lequel elle ne veut pas que son entourage « réel » s’immisce. « L’anorexie est une maladie intime, rassure Pascale Zrihen. C’est plutôt sain pour une adolescente de vouloir garder une part d’elle secrète. » A la création de son compte, toujours ancrée dans sa maladie mais dotée d’une farouche envie de guérir, Eléonore postait chaque jour des photos de ses repas, témoignait et donnait des conseils à qui voulait bien les lire. Deux ans plus tard, plus de 2000 personnes suivent ses publications. Elle qui pourtant, s’est limitée à une photo par jour. « J’étais devenue accro à ça : poster mes repas. Mais je vais mieux et je n’en ai plus autant besoin, explique-t-elle, guérir, c’est apprendre à se détacher de son compte. » Aujourd’hui, Eléonore et Eloïse donnent plus de conseils qu’elle n’en reçoivent : « Quand une fille me demande de l’aide, je lui dit de croire en elle, de ne pas abandonner, de se battre. Je lui dis surtout qu’elle peut compter sur moi, qu’elle peut me parler, car je sais à quel point ça peut être dangereux de se sentir seule », souffle Eloïse. Une dépression, un isolement peuvent rapidement conduire à une perte d’appétit conduisant à une rechute. « L’anorexie est un comportement en réponse à un état dépressif. Il suffit que la personne se sente mal dans sa vie pour qu’elle sombre à nouveau » explique Nathalie Godart.


« Le risque, c’est d’avoir l’illusion d’être bien entourée »


Un compte Instagram, Juliette aussi en a un, depuis bientôt deux ans. As- sise devant sa pizza Margharita, elle prend son iPhone et immortalise « sa victoire ». Elle explique qu’elle n’a pas avalé cette spécialité italienne depuis « au moins trois ans ». Alors, elle la postera sur son compte : fightanabyju. « Je vais montrer aux filles que j’ai réussi, que ce n’est pas im- possible, comme je l’ai pensé à tort pendant des mois... » Juliette a créé son compte pendant son hospitalisation, à la clinique Saint Vincent de Paul à Lyon. « Le médecin m’a dit : tu es anorexique ! Puis m’a laissée livrée à moi-même. Je ne connaissais rien » s’énerve Juliette. Est-ce que cette pathologie se soigne ? Doit-elle prendre des médicaments ? Va- t-elle en mourir ? Autant de questions que se pose l’adolescente sans pouvoir y répondre. Sur Instagram, Juliette cherche des solutions, des témoignages et surtout, des copines pour bavarder, échanger. Aujourd’hui plus en forme « mais loin d’être guérie », elle essaie de prendre ses distances. « Parfois, les filles me demandent si je vomis, combien je mange de calories le matin, alors que je n’en ai aucune idée. » Des adolescentes encore profondément touchées par l’anorexie et tous les tocs qu’elle provoque. Loin de tous ces calculs maladifs, Juliette a compris que le réseau social pouvait aussi l’enfoncer, en côtoyant des filles loin du chemin de la guérison qu’elle a entrepris. Si certaines filles nouent des amitiés virtuelles, Juliette préfère garder cela pour le monde réel. Bien sûr, elle échange des messages avec certaines, mais rien de très « sincère ». Le piège selon Pascale Zrihen est « d’avoir l’illusion d’être bien entourée, l’illusion d’une vie sociale ». Certaines filles se servent de ces comptes pour « se rassurer d’être avec des personnes qui pensent comme elles, et qui ont des croyances communes qui peuvent être dévastatrices ».

A 18 ans, Juliette est plus mature que les autres. « Elles sont si jeunes, j’aimerais leur dire qu’elles devraient aller à l’hôpital au lieu de l’éviter, mais je n’ai pas envie de rentrer dans ces discours moralisateurs, je n’ai pas envie de me faire insulter », déclare la jeune femme. Les adolescentes ont souvent du mal à accepter les conseils allant à l’enontre de leur volonté. Coco, surnommée « Chunky_fighter » avoue qu’elle triche le jour de la pesée, fait des crises de boulimie. Son poids la gêne, son corps aussi. Pourtant, dans sa biographie Instagram elle mentionne « Recovery ». « Mais elle en est loin » témoigne Juliette. Un jour, une abonnée a eu le courage de lui dire de se faire aider.

Coco a « exposé » se souvient Juliette, « elle a multiplié les posts, disait qu’elle n’avait pas de conseils à recevoir de nous, que si on n’est pas contente, on ne la suit plus ». Un mauvais souvenir pour la jeune femme qui s’est tout simplement désabonnée, elle déclare : « C’est vrai que ce n’est pas notre rôle de dire ce genre de choses… ». Consciente du revers « hypocrite » de cette communauté, Juliette considère qu’elle sera guérie lorsqu’elle délaissera son compte « de malade » pour l’autre. Celui que ses parents et ses amis connaissent : son « vrai monde ».


Cette enquête a été réalisée en avril 2018 pour le CFPJ.




 
 
 

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